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Interview Ed McCardie, co-créateur de Spotless

Pour désincruster la série de fond en comble, rien de mieux que de s’entretenir avec le co-créateur de Spotless : Ed McCardie. Connu pour avoir créer la série britannique Shameless, Spotless est un projet qui lui tient à cœur, la preuve dans cet entretien d’un créateur passionné !

ed mccardie
© Clemens Bilan/Getty Images Europe

Pouvez-vous nous expliquer comment se déroule l’écriture des scènes de nettoyage de crime ? Comment les imaginez-vous ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Ed MacCardie : « A aucun moment, nous nous sommes inquiétés ou demandés comment écrire une ‘scène de nettoyage’. On n’avait aucun procédé spécifique pour cela. On commence toujours par l’histoire : quelle est l’histoire que l’on raconte, qu’est-ce qui doit se passer dans la saison, qu’est-ce qui doit arriver aux personnages ? Et une fois que nous avons le fil conducteur de la série, seulement après ça, on se peut se pencher sur les scènes de crime et comment réaliser le travail de nettoyage de manière à ce que cela nous soit utile. Par exemple, dans cette saison, Jean et Martin n’ont pas d’autre choix que de faire ce que Nelson Clay leur réclame, mais à un moment, on a besoin que Jean dise : ‘Non, je ne ferai pas ça‘. Il a besoin de faire cela par principe, et bien sûr, cela engendre des problèmes. Donc, nous avons travaillé l’histoire, ce qui allait se passer, comment les personnages allaient réagir et uniquement après ce travail, nous pouvions examiner comment le nettoyage devait être fait.

nettoyage crime spotlessEnsuite, il y a  le nettoyage en lui-même, nous savons quel travail devait être fait en fonction de l’histoire, nous avons ensuite imaginé une situation qui peut nous être utile. Et seulement après, nous nous intéressions  à la science, pour savoir ce qui est possible  de faire et après il y a un questionnement entre ce que nous avions besoin qu’il arrive, et ce que la science nous permet de faire (parce que, bien sûr, l’ensemble de nos situations de nettoyage devaient être possibles. Nous ne pouvons pas faire une entorse  à la réalité).

Toutes les situations de nettoyage de crime de la série sont imaginées ou inventées. Aucune d’elles ne s’appuient sur un nettoyage de crime existant que nous aurions lu sur le sujet ou entendu parlé.

Nos sources sont principalement des livres détaillés (américains principalement, l’industrie du nettoyage de scène de crime est plus ancienne et plus développée là-bas); il y a aussi beaucoup d’articles en ligne. Et on a également discuté avec des experts du nettoyage de scène de crime et des médecins légistes, afin de s’assurer que les histoires que nous racontions étaient possibles, ou réalistes. On avait des consultants, vraiment très précieux et utiles. A plusieurs reprises tout au long de la saison, on avait une idée de script, et ils pouvaient nous répondre et nous dire : ‘Eh bien, vous ne pouvez pas faire ça exactement comme ça mais peut-être pourriez-vous le faire ainsi…’« 

Les acteurs peuvent-ils faire des remarques pendant le tournage ?

Ed MacCardie : « Oui, bien sûr et ils l’ont fait. Faire une série doit toujours être un  travail d’équipe. On peut développer les scripts pendants plusieurs mois, les acteurs participent rarement au processus (ils sont sur d’autres tournages), néanmoins dans les semaines qui précédent le tournage, et effectivement durant le tournage, les acteurs jouent un rôle essentiel dans la fabrication de leur personnage en les rendant les plus honnête possible. Un acteur malin et intelligent vaut de l’or pour une série, et nous avons des gens très intelligents dans Spotless. Nous sommes chanceux ».

Vous êtes Écossais, et dans Spotless, les deux héros sont français : comment faites-vous pour écrire les parties en français ? Avez-vous de l’aide ?

© Laurence Cendrowicz / Canal +
© Laurence Cendrowicz / Canal +

Ed MacCardie : « Je n’ai pas écrit ces héros différemment parce qu’ils étaient français. Les histoires et les thèmes sont assez universels, communs à toutes personnes de n’importe quel coin de la planète et les problèmes qu’ils ont sont très humains. Alors, je les ai écrit comme des personnes qui rencontrent des défis importants, plutôt que des ‘français avec des défis importants’. Je voyage beaucoup et j’ai vécu longtemps dans d’autres pays. Alors, je pense que ces thèmes de ces français qui essaient de se créer de nouvelles vies dans un autre endroit, un autre pays, sont assez simples à comprendre. Comme nous tous, ce sont des gens avec une famille, avec une histoire, avec des soucis. Si vous passez assez de temps à réfléchir et développer, les personnages et leurs histoires, cela s’impose à vous la manière dont les personnages doivent être.

J’ajouterai également que nous avons été prudents dans l’écriture à les ne pas les écrire comme des « français » ou  « à la manière de français » parce que si on y accord trop d’importance dans la création des personnages, il y a un danger de finir dans le cliché et la caricature. Par exemple, comme vous le savez je suis écossais, si les gens décident d’écrire un personnage « à la manière d’un écossais », il serait toujours alcoolique, aggressif, bagarreur, chantant, un peu sur la défensive, détestant l’Angleterre… (même si peut-être, il y a une part de vérité !). En faisant de ces héros exclusivement des français, c’est là que nos acteurs sont si précieux, Denis et Marc-André ont apporté quelque chose à ces deux frères que je n’aurais pas pu écrire. Ils ont fait deux des frères français.

Jean paraît innocent avec Nelson Clay comme horrifié par la violence des actes de Nelson mais il paraît aussi pas si innocent comme s’il avait un côté sombre. Est-ce que vous vouliez donner cette impression au public ? Est-ce que Jean est si propre sur lui qu’il n’yparaît ? Après l’épisode 3, Jean s’ouvre davantage à sa maîtresse, ils ont l’air plus humains tous les deux : est-ce l’idée que vous vouliez faire passer ?

© Laurence Cendrowicz / Canal +
© Laurence Cendrowicz / Canal +

Jean est un type complexe. Il a un côté ombre et lumière (en fait, je pense à cet aspect tout le temps, nous espérons que tous les personnages de Spotless ont une part d’ombre et de lumière en eux. Je pense que le ton de la série existe précisément dans cette zone d’ombre entre la lumière et l’obscurité. Personne n’est complétement gentil ou méchant, mais tout le monde est entre les deux. De plusieurs manières, Jean tente de nier ou contrôler son côté obscur. Le garder dans une boîte ou un compartiment, construire une vie qui le protège de cette noirceur ou des conséquences malheureuses. Mais, il est aussi capable de faire des choses mauvaises dans le présent comme dans le passé et l’arrivée de Martin et sa situation avec Nelson le force à embrasser son côté obscur et en prendre conscience. Donc, nous souhaitons que les téléspectateurs prennent conscience que ce type est complexe, il a bien plus à offrir que ce que l’on voit au premier abord, mais avec un peu de chance, ils auront de l’empathie pour lui, avec un peu de chance, ils vont le considérer comme… un homme bon (parce que je pense qu’au final, que c’est un bon gars), un bon gars méritant d’être suivi.

La maîtresse (Claire) est un personnage intéressant pour Jean et avec un peu de chance pour nous aussi. Ça serait trop facile de dire que Martin arrive dans la vie de Jean et est à l’origine de tous ces terribles problèmes, mais en réalité, Jean avait des problèmes avant que Martin débarque, et déjà sa vie comportait des ennuis. Claire est un exemple de cette situation (sa liaison avait commencé avant que Martin arrive), il avait déjà des problèmes financiers, des soucis avec les policiers, etc..Quand Jean commence à se confier à Claire (car il ne peut pas parler à sa femme Julie), il commence alors faire face à plusieurs souvenirs enfouis pendant des années. Puis, plus tard dans la saison, Julie (sa femme) commence à découvrir des choses et elle est capable d’entrer davantage dans l’histoire principale.

Martin est toujours le rigolo de service. Ce rôle de rigolo est-il un moyen de rendre la série plus drôle pour les téléspectateurs ?

Ed McCardie : « Martin et Jean sont les deux côtés d’une même pièce, ce sont des frères qui partagent le même ADN et puis, plus on avance dans la saison, plus on verra davantage de similitudes entre eux. Suite aux événements qui leur aient arrivé enfants, Jean a construit une vie protégée des « conséquences », toutes conséquences, c’est un gentil petit conservateur et qui a essayé d’enfermer son monde de tout dommage que cela peut causer. De l’autre côté, Martin vit sa vie et se fiche des conséquences qui peuvent en résulter, il a beaucoup de conséquences à son actif, le problème pour lui, c’est qu’aucune ne compte vraiment. Donc, Jean ne vit pas vraiment et Martin vit beaucoup trop. Les deux frères sont vraiment… dépendants l’un de l’autre. Ils sont liés par une terrible histoire. Martin n’est pas toujours drôle, c’est gars dangereux aussi pour lui et sa famille. Alors, il est bien plus (du moins je l’espère) que là pour l’humour. Il a un sens moral également et malgré tout ce qu’il a fait… Je pense aussi que c’est un bon gars. Martin vit aussi entre l’ombre et la lumière ».

La relation entre Matty et Martin est touchante : est-ce un moyen de montrer que Martin est plus doué dans le rôle de père que son frère ?

© Laurence Cendrowicz / Canal +
© Laurence Cendrowicz / Canal +

Ed McCardie : « C’est un lien spécial que nous avons mis en place entre les deux personnages tout au long de la saison. Les acteurs s’entendent bien dans la vie réelle aussi, et Denis est très protecteur envers Jemma. Je ne pense pas qu’il soit un meilleur père que Jean, comme tout oncle, il peut débarquer et donner des conseils gratuits, sans avoir aucune responsabilité et les enfants sont attirés par ça. Cependant, je pense qu’il apporte une énergie différente au sein du foyer, ce qui force Jean à ré-examiner sa relation avec sa propre famille (c’est une chose de dire toujours dire ‘je fais ça pour ma famille’ mais c’est totalement autre chose de le faire réellement) ».

Nelson Clay n’est pas le gangster/dealer de drogue typique : il a un potager et semble être un véritable gentleman. Vouliez-vous montrer un autre type de gangster ? Nelson semble avoir une fascination pour Jean presque comme un père : est-ce une idée que vous vouliez explorer ?

Ed McCardie : « Nous avions l’impression que le monde n’avait pas besoin d’un autre gangster typique. Trop de clichés que nous avons vu des millions de fois auparavant. Ce qui est important c’est que nous voulions que cette série soit sur les personnages (plutôt que le crime ou juste le sang ou le nettoyage), alors, c’était vraiment important que les personnages soient réels, qu’ils aient des vies plausibles, des inquiétudes et des soucis comme vous et moi : des inquiètudes sur leurs enfants, sur l’argent, le futur. Dans beaucoup de séries dramatiques, les méchants sont simplement… des méchants. Mais, en réalité, les méchants ne se lèvent pas le matin et ne retirent pas leurs pyjamas de méchants et brossent leurs dents de méchants. Ce sont des personnages en trois dimensions, les mêmes que vous et moi et tout le monde.

De plus, les méchants sont d’accord pour être…méchant. Ils ont une raison, et une rationnelle à ce qu’ils font. Ils justifient leur moralité et leurs décisions. Et c’est bien pour Spotless, dans les grands thèmes que nous poursuivons, après la crise bancaire et la recession, et les guerres depuis 2003, et les confrontations culturelles entre l’Ouest et l’Est, nous (en tant que Société) nous questionnons sur notre propre moralité, décidant quelle type de société nous voulons pour le futur ? Jean et Martin font de même. Cela semble normal que Nelson soit également confronté à ces questions. Qu’est-ce qui est plus mauvais, Nelson ou un politicien corrompu ?

© Canal +
© Canal +

Ainsi, nous voulons poser ces questions des personnages et lui qu’il se pose ce genre de questions lui-même. Comme je l’ai dit auparavant, on veut que Spotless soit entre l’ombre et la lumière et entre le bien et le mal. Tout doit être dans l’obscurité sans pour autant y être completement. Donc, Nelson est un personnage avant tout (un homme) et un gangster dans un deuxième temps.

Et il voit quelque chose dans Jean, on traitera cet aspect en détail dans la saison (et la saison 2). Nelson voit quelque chose de lui en Jean, il réalise que Jean à quelque chose de spécial (quand Jean dit dans l’épisode 2 ‘Je ne suis pas n’importe qui’). Jean est à une étape de sa vie où il a de grandes décisions à prendre et Nelson peut-être réalises que lui (Nelson) a perdu cette chance maintenant, que sa vie a basculé trop loin. Il y a aussi cette impression que Jean est le petit frère que Nelson n’a pas eu avec Victor. Nelson est un stratège ayant toujours 4 coups d’avance sur Jean. Et il veut voir les décisions que Jean va prendre ».

  • Spotless tous les lundis soir sur Canal Plus à partir du 16 mars !

Lubiie

Plus de 10 ans d'expertise dans le domaine des séries, blogueuse passionnée, professionnelle de l'audiovisuel, reporter de festival, jury de festival, intervieweuse aux multiples questions en séries ou chroniqueuse radio. Tout mon monde tourne autour de l'actualité des séries.

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