Comment élever un enfant lorsqu’on se débat soi-même avec ses démons ? Comment lui transmettre l’amour lorsque la honte d’être gay, sur fond d’éducation religieuse et de harcèlement scolaire, a sapé votre estime personnelle ? Dans le sillage de « Gabe » et Andy, couple de trentenaires solidement amoureux, LOST BOYS AND FAIRIES, la mini-série galloise de Daf James – qui s’est appuyé sur sa propre expérience pour la concevoir – restitue les différentes phases du processus d’adoption et creuse la complexité des émotions et questionnements qui émergent à chaque nouvelle étape.
Présentée en avant-première au festival de la fiction de La Rochelle, LOST BOYS AND FAIRIES a remporté le prix de la meilleure série européenne. Une récompense encourageante pour les débuts prometteurs d’un talent, Daf James dont c’est la toute première œuvre de fiction : « C’est la première que j’ai entièrement imaginée, de l’écriture à la direction musicale. » Et c’est un prix en encore plus appréciable quand Daf James ajoute : « C’est la première fois qu’un drame bilingue gallois-anglais est diffusé en prime time sur BBC One au Royaume-Uni. Et on est en 2024 ! Donc, pour moi, politiquement, c’était quelque chose d’extraordinaire, parce que non seulement c’est une série bilingue, mais c’est aussi une série queer, et ça parle d’adoption« . Afin d’en savoir plus sur cet « exploit sériel », j’ai eu la chance de déjeuner avec Daf James et de discuter plus en détails de Lost Boys and Fairies.
Quelle est la genèse de cette histoire ?
Daf James : « Mon mari et moi, nous avons adopté deux garçons il y a sept ans. C’est très inspiré de mon vécu, même si ce n’est pas « vrai » dans le sens littéral. Mais la fiction puise dans beaucoup d’éléments de ma vie et beaucoup de thèmes personnels. Ma mère est décédée un an avant l’arrivée des enfants. Donc, comme pour Gabriel — les moments où il est enfant — c’était juste un an avant, donc elle ne les a jamais rencontrés. Et puis, quand nous avons traversé tout ce processus et que les garçons sont arrivés, c’était tellement… dramatique, profond, bouleversant. On a eu deux garçons en même temps. Ils avaient cinq et deux ans, et ils étaient frères. Ils avaient déjà traversé pas mal d’épreuves. Je n’arrivais pas à croire que je n’avais jamais vu cette histoire à l’écran, pour être honnête. Parce que j’avais l’impression que toutes les représentations de l’adoption que j’avais vues à l’écran n’étaient pas fidèles à notre expérience, à ce que nous avions vécu. »

Le travail d’artiste de Gabriel n’est pas loin de votre personnalité ?
Daf James : « Je suis aussi interprète. J’ai un personnage de drag. Très différent du drag traditionnel. Très différent aussi du personnage de Gabe. J’ai un personnage de drag qui s’appelle Sue, que j’interprète. Comme je suis compositeur et musicien, j’ai écrit la première chanson de la série Lost Boys and Fairies, la toute toute première chanson. J’ai coécrit les paroles avec un ami, mais j’ai composé la musique, et j’ai aussi été directeur musical pour toutes les chansons de la mini-série, j’ai tout supervisé J’intègre toujours la musique dans mon écriture quand je le peux, parce que j’adore ça, et aussi parce que la musique apporte quelque chose de complètement différent. C’est une forme d’art tellement directe, qui peut te faire ressentir les choses très intensément. Et je pense que, dans la série, les chansons jouent un rôle un peu comme les soliloques dans Shakespeare. On entrevoit son monde intérieur, ce qui se passe en lui. Pour lui, c’est un moment pour faire une pause, réfléchir, mais aussi faire avancer l’histoire ».
Parlez-nous de ce casting remarquable ?
Daf James : « Je connais Sion Daniel Young depuis très longtemps. Dans ma toute première pièce en langue galloise — ma toute première pièce tout court — c’est Sean qui jouait l’adolescent, et c’était son tout premier travail professionnel. Il était encore à l’école de théâtre à l’époque. Donc, il y a un lien direct, d’une certaine manière, entre cette série et cette première pièce. On y retrouve beaucoup de thèmes similaires, comme l’exploration de l’identité queer dans la culture galloise. Donc, le fait que Sean soit devenu le rôle principal dans la série, c’est vraiment magnifique pour moi, parce que je pense que c’est un acteur extraordinaire. Et en plus, bien sûr, il parle gallois. Il a fréquenté le même lycée que moi. C’est un endroit très spécifique, vous savez, un lycée en langue galloise à Cardiff. Et ce garçon sait chanter aussi ! C’est un rôle très complexe et délicat à distribuer. Et ce qui était incroyable aussi, c’est que comme j’avais déjà une relation avec Sion, cela nous a permis à tous les deux d’être très vulnérables, de traverser cette aventure ensemble. J’étais sur le plateau chaque jour. Et comme une partie de l’histoire est inspirée de ma vie, dès qu’il y avait des scènes liées à l’adoption ou à des éléments personnels, on en parlait ensemble. Et c’était tellement touchant de voir comment il a interprété tout ça. Et puis Fra Fee, il est formidable, avec beaucoup de profondeur. Je ne le connaissais pas avant, je n’avais jamais vu son travail. La directrice de casting, Lauren Evans, nous a envoyé une bande démo, et dès les dix premières secondes, j’ai su. J’ai dit : Oh mon Dieu, il est incroyable, il nous le faut ! Fait intéressant : Sion et lui n’ont même pas fait de test ensemble au casting. On les a recrutés, et la première fois qu’ils ont lu ensemble, c’était à la lecture autour de la table. Leur alchimie était là, immédiatement ».

© BBC / Arte
Impossible de rester indifférent face à ce récit touchant et sincère d’un couple gay confronté aux méandres de l’adoption et l’intrusion du processus dans leur vie. Daf James donne vie à des personnages profondément attachants et étincelants pour raconter une histoire authentique, intense et bouleversante. L’épisode trois, en particulier, se révèle aussi éprouvant que magnifique.
Lost Boys and Fairies (3×58′) est disponible sur Arte !