Louise Doughty fait partie de ces romancières qui ont la chance de voir leur roman prendre vie en image grâce à une adaptation en série de leur oeuvre. Son roman s’intitule Apple Tree Yard en anglais et traduit en français par Portrait d’une Femme Sous Influence et raccourci en Sous Influence par Arte pour la version série. Composée de quatre épisode cette mini-série est très actuelle, prenante et la fin est magistrale. Louise Doughty explique les secrets de la série tout en l’éclairant de son point de vue d’auteur ce qui donne une interview passionnante !
Sous Influence / Apple Tree Yard : du roman à la mini-série
Comment est arrivée l’adaptation de votre roman Apple Tree Yard / Sous Influence ? Est-ce un de vos rêves ?
Louise Doughty : « Quand Kudos a acquis les droits d’adaptation du livre au Royaume-Uni, ça m’était déjà arrivé auparavant, vous vous dites c’est une bonne idée, ils ont les droits mais rien ne va arriver. Puis, ils ont engagé une scénariste qui s’appelle Amanda Coe. Elle est très douée, elle a écrit les films Room at the Top (2012) et Life in Squares (2015). Je me suis dit alors qu’ils avaient pris une très bonne scénariste ce qui est bon signe. C’est aussi une auteur de roman ce qui est appréciable car je savais qu’elle respectait la forme du roman. Cela fait véritablement la différence. Puis, tout était calme pendant un temps lorsqu’elle écrivait le script. J’ai vu le script et j’ai fait quelques petites remarques. Avant que le diffuseur soit de la partie, vous ne savez pas réellement ce qui se passe. Puis, la BBC laissait sous-entendre qu’elle donnerait son feu vert. Mais, je n’y croyais pas vraiment avant que l’ensemble du cast ait procédé à la lecture du script dans son entier. C’est le moment où tous les acteurs se réunissent pour la lecture et que je me suis ‘Oh mon Dieu ! C’est Emily Watson’ ! C’est très excitant et très étrange en même temps ».
Vous êtes crédité comme co-scénariste de la mini-série : avez-vous écrit une partie du script ?
Louise Doughty : « Pas vraiment. Amanda Coe a fait le travail. Je l’ai lu et j’ai fait des remarques, je suis producteur associée. Elle a fait tout le dur labeur, j’ai juste pris la gloire »:)
Donc, vous n’étiez pas du tout impliquée dans le process d’adaptation de votre roman ?
Louise Doughty : « En fait, je faisais très attention dès le début à me mettre en retrait. Je suis arrivée après, une fois que les scripts étaient achevés et j’ai fait de minuscules remarques. Mais, je savais que c’était très important pour la scénariste d’avoir libre cours à son imagination. Puis, je travaillais sur un autre roman à ce moment-là : Black Water. J’approchais de la date limite pour rendre Black Water. Cela m’a aidé à mettre toute mon énergie dans Black Water. Je les ai laissés proposer leur propre vision du roman. Je pense que c’est bien d’arriver dans une deuxième temps, une fois qu’ils ont leur vision et émettre quelques commentaires ».
Pensez-vous que c’était essentiel d’avoir des phrases de votre roman incorporées dans le script ?
Louise Doughty : « Parfois, je lisais le script et je me disais, c’est une des mes phrases et après j’y repensais et je me disais mais non, ce n’est pas une de mes phrases. Amanda a si bien compris mon livre qu’elle a écrit des répliques que j’aurais pu écrire mais qui ont été inventées en réalité. Je trouve qu’elle a réellement bien compris le livre ».
Quand les mots prennent vie par l’image
Qu’est-ce que ça vous fait en tant que romancière de voir ce que vous avez écrit en image ? Voir vos scènes écrites prendre vie ?
Louise Doughty : « C’est très excitant et très étrange à la fois. Vous n’êtes pas juste une romancière, vous êtes une magicienne, eh oui elles existent. En particulier pour les petits rôles, parce que évidemment quand vous regardez Emily Watson, vous voyez Emily Watson mais dans les petits rôles quand ils engagent un acteur ou une actrice qui ressemble exactement à ma description dans le roman et que cet acteur/cette actrice marche et parle, c’est très étrange. C’est génial mais ça prend du temps de s’y habituer ».
Avez-vous une scène que vous attendiez de voir en images ?
Louise Doughty : « Oui, dans l’épisode 3 quand le mari brandit un couteau à la gorge de l’avocat parce que dans le roman, j’ai beaucoup réfléchi à cette scène et je savais que cela faisait faire au mari quelque chose qui était contraire à son tempérament. C’est le seul moment où il perd son sang froid. Je me suis demandée si c’était plausible et j’ai décidé que ça l’était. Ils ont fait du bon travail en le rendant crédible à la télévision. Puis, c’est si important qu’il ait ce discours sur ce mythe du pourquoi les femmes, victimes d’agressions sexuelles ne se défendent pas. Il met les points sur les « i » en se défendant. Il y a aussi la logique de l’avocat qui sait qu’il n’aura pas la gorge tranchée mais ce n’est pas comme ça que vous le ressentez sur le moment. La majorité des gens dans une situation de menace restent paralyser, c’est ce que l’on fait. C’est ce que l’évolution humaine nous a entrainé à faire, si vous ne pouvez pas courir, vous restez paralysé . C’est ce qui arrive dans cette scène pourquoi l’avocat ne se défend pas et reste immobile ».
Est-ce que certaines scènes ou éléments du roman ont été changés parce que pas assez fortes visuellement pour la télévision ?
Louise Doughty : « Quand j’ai lu le script pour la première fois, je me suis aperçue que la fille d’Yvonne était enceinte. Je me suis dit c’est intéressant parce que ce n’est pas dans le roman mais pourquoi ? C’est pour une raison de dramaturgie. Dans le roman, la trahison de Costley est très technique en matière de justice. Mais, sur écran, c’est très compliqué d’expliquer un détail de la loi parce que vous ne voulez pas d’une scène où deux avocats s’affrontent sur ce genre de question, cela devient très vite lourd. En introduisant un bébé, il y a cette scène où Gary berce le bébé et Yvonne qui a son premier petit-enfant et Costley voit ce moment entre le mari et la femme. Tout cela a été inventé pour servir l’écran mais, il était nécessaire d’avoir un moment dramatique qui était visuel ».
Emily Watson est Yvonne Carmichael
Quand vous avez découvert qu’Emily Watson allait jouer votre Yvonne Carmichael, quelle a été votre réaction ?
Louise Doughty : « J’étais contente quand j’ai entendu qu’elle pourrait incarner le personnage. J’ai retenu mon souffle pendant un temps car ils avaient dit qu’ elle pourrait mais rien n’était sûr. Cela a duré trois semaines. Elle a été parfaite et j’étais si heureuse quand elle a accepté de jouer le rôle. Elle a tout pour jouer le personnage. D’un côté, elle possède la qualité que toutes les femmes ont, elle est adorable, vous avez l’impression qu’elle pourrait être votre amie, votre soeur ou votre mère. C’est une vraie femme. ça aurait été affreux si ça avait été une femme avec beaucoup de botox ou trop maigre. C’est une vraie femme, le genre auquel beaucoup d’entre nous ressemble. Quand on a su que c’était elle, je me suis dit qu’on était sur la bonne voie ».
Yvonne est parfois très dure envers son mari. Or, ils se sont tous les deux trompés mutuellement, balle au centre, non ?
Louise Doughty : « Or, tout le monde parle de son adultère. Oui, mais lui, il l’a trompé avec une femme bien plus jeune et il était dans une position d’autorité hiérarchique. Elle a des relations sexuelles, mais, dans son esprit, ça sera que du sexe sa relation extra-conjugale et elle gardera cela à l’écart du reste de sa vie. La seule raison pour laquelle, cela interfère avec sa vie, c’est parce qu’elle a été attaquée. Elle a défini une barrière très stricte, là où lui a une relation extra-conjugale avec une femme vulnérable, une jeune femme qui est tombée amoureuse de lui et qui vient dans leur vie. C’est une véritable romance. Même si elle en fait plus niveau sexe, lui a causé bien plus de dégâts dans leurs vies qu’elle ne l’a fait. C’était l’idée ».
Les secrets d’une fin brillante !
Parlons de cette fin fabuleuse et pleine d’ambiguïté avec ce regard d’Emily Watson !
Louise Doughty : « J’adore ce regard ! Dans le livre, c’est assez similaire parce qu’il y a un flashback à la fin du livre où il dit j’aimerais lui casser la figure. Je jouais avec l’ambiguïté car légalement, ça fait d’elle une coupable. Dans la loi anglaise, c’est ce que l’on appelle le meurtre organisé par coresponsabilité* si vous poussez quelqu’un à commettre quelque chose, légalement vous êtes coupable. Moralement, on peut tous dire ça. Vous pouvez dire facilement à votre mari ou petit ami, j’ai envie que tu le tues. Moralement, où ça nous mène ça reste son acte. J’ai beaucoup joué avec cette idée et je suis ravie que la série ait réussie à jouer avec ce point. J’adore cette dernière scène. Cette scène où elle se tourne vers la caméra avec ce regard, ce regard qui pour moi veut dire ‘vous ne connaissez pas, ne me jugez pas, vous ne savez pas’. J’ai adoré ».
*le terme anglais est joint enterprise murder mais pas d’équivalent français légalement donc traduction approximative.
Comme elle est beaucoup dans le rêve, l’imaginaire, on a l’impression que c’est un rêve qu’elle imagine ? Comment le voyez-vous ?
Louise Doughty : « Je savais quand j’ai imaginé l’histoire qu’elle n’avait pas l’intention de le tuer, elle le disait juste en l’air et c’est lui parce que c’est un idéaliste et qu’il ne pouvait pas faire la différence. Cependant, j’adore l’idée que ce soit un élément de doute ».
La suite de Sous Influence / Apple Tree Yard
Il paraît que vous travaillez sur une saison 2 de Sous Influence / Apple Tree Yard ?
Louise Doughty : « Peut-être. C’est drôle car un tabloïd a décidé que j’étais entrain de travailler sur la suite. Ils ont écrit un papier conséquent dessus et les autres journaux l’ont repris. Disons que j’ai une idée pour le futur mais ce n’est pas sur ce que je travaille actuellement. Mais, j’ai une bonne idée de comment l’histoire peut être développée par la suite« .
Est-ce que l’adaptation de votre roman en série, vous a-t-il donné envie d’en raconter davantage sur le personnage d’Yvonne ?
Louise Doughty : « Je suis plus intéressée par l’histoire de Mark Costley et ce qui lui arrive quand il sortira de prison. Parce que c’est évident, c’est une idéaliste et c’est un homme qui a trouvé le moyen de vivre sa vie tout en étant un idéaliste en vivant une vie normale marié avec un métier en ayant des relations extra-conjugales qui conforte l’idée qu’il a de lui-même de quelqu’un de romantique et héroïque. Qu’arrive-t-il à un idéaliste quand tout ça lui est enlevé ? Dans mon esprit, il sortirait de prison en homme brisé. Donc, ça serait son histoire et comment il en sortirait de cette épreuve ».
J’adore l’image
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